Route du Rhum : Francis Joyon, la leçon !



L’incroyable s’est donc produit dans la nuit du 11 au 12 novembre à Pointe à Pitre. Leader pendant six jours, François Gabart s’est fait doubler pratiquement sur la ligne d’arrivée de la Route du Rhum dans la pétole Guadeloupéenne.



© Yvan Zedda

Pendant 6 heures, 60 milles, le temps qu’aura duré ce tour de la Guadeloupe abracadabrantesque, François Gabart et Francis Joyon nous ont tenu en haleine. Et c’est donc le second qui l’emporte d’un souffle (7 minutes et 8 secondes). Un arrivée inattendue qui met ainsi un terme à un suspense de fous entretenu depuis le passage de la Tête à l’Anglais, jusqu’aux deux derniers milles littéralement bord à bord à 3 nœuds de moyenne. Soixante milles sur les 3542 du parcours ce qui correspond à seulement 1,7% de la distance totale pour décider d’une victoire…Le marin de 62 ans aura ainsi mis 7 jours 14 heures 21 minutes et 47 secondes pour boucler le parcours à la vitesse moyenne de 19,42 nœuds. Il établit un nouveau temps de référence sur le parcours en battant de 46 minutes et 45 secondes le chrono réalisé en 2014 par Loïck Peyron. Chapeau Monsieur Joyon !

© Alexis Courcoux

© Yvan Zedda
Après 7 participations plus ou moins heureuses sur la Route du Rhum, qu’est-ce qui vous a motivé à faire cette course et surtout à la gagner ?
La particularité de la Route du Rhum, c’est que cela reste à chaque fois un challenge différent. J’ai pu compter sur un nouveau bateau, très fiable, déjà vainqueur de l’épreuve en 2010 avec Franck Cammas  sur Groupama 3 et en 2014 avec Loïck Peyron sur Banque Populaire VII. Avec ce bateau plus puissant, j’ai pu assurer des moyennes plus élevées qui ont fait la différence. Au-delà de l’aspect mécanique, cela m’intéresse également de redécouvrir la mer, dont les conditions sont différentes à chaque fois. La Route du Rhum est toujours une grande aventure et c’est cela qui est bien sûr motivant.

Qu’est-ce qu’il faut pour gagner une Route du Rhum ?  
Un bon bateau (rires), un bon sponsor et bien sûr choisir très vite la bonne route. En clair, il faut la totale pour gagner une Route du Rhum. Il faut aussi réussir à être le plus percutant possible bien que nous soyons seuls à bord et que l’on ne puisse pratiquement jamais dormir. Il est donc primordial de récupérer à un certain moment. Des fois, c’est par tous petits bouts, des fois ce sont des tranches un peu plus grandes.

Est-ce sur ce genre de course, ce sprint endiablé, vous prenez le temps de prendre un peu de plaisir ou alors c’est vraiment le bagne ?
Disons que plus on en bave et plus les petits moments sympas sont appréciables. C’est souvent un petit peu lié. C’est comme dans la vie, si tout est facile, si on a une vie trop lisse et trop confortable, on n’apprécie pas les bonnes choses de la vie. Quelque part d’avoir des moments durs, cela permet de profiter des rares moments sereins que nous pouvons avoir lors d’un coucher de soleil sur la mer dans les alizés.

Francis Joyon - © David Raynal
Qu’est-ce qui a changé dans le milieu de la voile depuis que vous courez ? 
En fait, tout a changé, je ne retrouve plus les mêmes coureurs ni les mêmes bateaux. Il y a aussi le fait que les choses évoluent rapidement avec l’arrivée des bateaux volants. C’est absolument passionnant. Pourquoi ne pas imaginer une flotte de petits bateaux volants en fibre de lin ou en résine recyclable. Cela ferait une flotte magnifique à travers l’Atlantique.

Qu’est-ce qui vous a fait choisir ce bateau au palmarès d’exception lancé il y a 12 ans ? 
Nous avons décidé de nous diriger vers ce bateau à l’arrivée de la précédente Route du Rhum. A vrai dire, c’était plus dans l’idée de pouvoir tenter notre chance sur le Trophée Jules Verne, le record du tour du monde en équipage. Le challenge était d’arriver avec un bateau très marin, plus petit, puisque le record était détenu par un grand bateau. C’est vrai que j’avais déjà pensé à la polyvalence d’Idec Sport. C’était le seul bateau sur le marché qui était à la fois capable de battre un record de tour du monde en équipage et participer à des courses en solitaire.

© Yvan Zedda
Les conditions météorologiques difficiles du départ vous ont elles privilégié face à vos concurrents ?
Pour avoir connu différentes Route du Rhum avec des départs quelque fois assez violents et du mauvais temps, je savais que le bateau avec des vents au portant pouvait aller beaucoup plus vite que toute la flotte. J’avais aussi conscience que cela n’allait pas forcément durer très longtemps. C’est un bateau qui autour du monde marchait déjà beaucoup plus vite que le Spindrift de Yann Guichard alors qu’il était plus grand, parce qu’il passait très bien dans la mer.

Qu’est-ce que vous avez modifié spécifiquement sur ce bateau pour participer à la Route du Rhum ? 
Pour cette course, nous avions trouvé quelques petites astuces. Nous avions par exemple des plans porteurs sur le safran, des foils un peu plus grands.  Cela s’est joué également à des petits détails. J’ai par exemple changé les cordages pour des cordages plus techniques qui ont la même résistance pour un diamètre plus petit. Cela crée non seulement du poids en moins, mais aussi moins de frottement dans les winchs et moins d’efforts pour les manœuvres. C’est vrai que le bateau est très dur physiquement. J’ai donc dûtravailler beaucoup sur la fluidité des manœuvres. Le bateau était plus facile à utiliser au niveau des enrouleurs sur la Route du Rhum que pendant le tour du monde. Et puis surtout, j’ai conservé le petit vélo que Franck Cammas avait installé pour lever plus facilement les voiles, pour la détente et le week-end (rires) !

Est-ce que vous avez déjà réfléchi à un prochain Idec Sport ? 
J’ai rêvé quelques fois d’un bateau « vert » qui serait sans moteur thermique. Aujourd’hui, nous sommes obligés d’avoir un moteur par les règlements de course. Pour les records, nous l’avions enlevé. Pour les transatlantiques, nous pourrions imaginer un moteur qui fonctionne avec des énergies douces, solaire, éolienne, avec stockage de l’énergie dans des batteries. Il y a pleins d’idées comme celles-ci qui peuvent être encore développées...

© Yvan Zedda

Francis Joyon l’emporte d’un souffle - © Alexis Courcoux
Quelques déclarations de Francis Joyon à l’arrivée en Guadeloupe.

A propos de la victoire
« Elle a la saveur du Rhum de Guadeloupe et c’est vrai qu’après toutes mes participations, je la savoure d’autant plus !  C’était une course extraordinaire »

A propos des derniers milles
« Je me suis rendu compte que je pouvais gagner 1 minute 30 avant l’arrivée. Mais avant ça, j’ai cru que François allait me repasser parce qu’il allait beaucoup plus vite avec son code zéro. C’est vrai que ça a été un moment de grande inquiétude parce que je le voyais revenir comme un avion. J’avais l’impression de rééditer un petit peu l’arrivée de Mike Birch pour qui j’ai beaucoup d’admiration ».

Sur le retour d’Idec Sport dans les alizés
« J’ai appris les problèmes de François au dernier moment mais je me doutais qu’il avait un bateau extrêmement rapide et que si j’arrivais à regagner sur lui c’était qu’il était handicapé d’une manière ou d’une autre. Je pensais que c’était plus un problème de bas étai ou quelque chose comme ça qui le contrariait, je n’imaginais pas que les dégâts étaient aussi importants. Il a eu énormément de mérite de continuer à un rythme aussi élevé alors qu’il avait un safran et un foil en moins. Ce sont quand même de gros handicaps et François a réussi d’une part à prendre sur lui et ne rien dire, et d’autre part à faire une course hyper courageuse et engagée ».

A propos de la difficulté de la course
« J’ai l’impression d’avoir été plus loin que d’habitude. Les deux premiers jours ont été vraiment trèssauvages. Et je comprends qu’il y ait eu beaucoup de bateaux cassés parce qu’il fallait réussir à passer sans casser le bateau et j’ai failli plusieurs fois casser le bateau moi aussi  (…) Le trajet a été difficile, même en croyant avoir du beau temps dans les alizés, on avait des passages de grains assez violents. Les changements de voile étaient difficiles, le bateau était brutal, c’était sportif. C’est ce qu’on venait chercher mais cela restait des moments délicats. Je suis dézingué au niveau auditif car le bateau était en vibration et en sifflement constant… »

Site officiel d’Idec Sport :
https://www.idecsport-sailing.com

Le livre : Francis Joyon, 16 ans d'aventure sur tous les océans du monde

Prémonition ? A la veille du départ de la Route du Rhum, Francis Joyon présentait déjà le livre de ses 16 années d'aventures sur tous les océans du monde avec le Groupe Idec ! Il ne se doutait pas que cet ouvrage prendrait aujourd'hui un relief tout particulier, avec son incroyable victoire dans la Route du Rhum, destination Guadeloupe. Avec ses deux records autour du monde en solitaire (2004 et 2007), son tour du monde en équipage en 40 jours (Trophée Jules Verne 2017), enfin sa victoire dans la Route du Rhum aujourd'hui, Francis Joyon est non seulement le navigateur le plus rapide de l'histoire mais le seul à avoir conquis, en solitaire puis en équipage, le record du tour du monde à la voile. Vainqueur de la Transat Anglaise (2000), triple recordman de l'Atlantique en solitaire, Francis est également le seul marin à avoir détenu simultanément les quatre records majeurs en solitaire (Tour du Monde, Atlantique Nord, Route de la Découverte et record des 24 heures). Avec sa victoire dans la Route du Rhum, battant le record de l'épreuve qui était détenu par Loïck Peyron, le skipper de Locmariaquer peut sans doute revendiquer l'un des plus beaux palmarès de l'histoire de la voile. Seize années d'aventures au plus haut niveau, de difficultés et d'exploits, de succès et de drames, réunies dans cet ouvrage de plus de 150 photos.

Editions Mer & Découverte
Auteur : Denis van den Brink
Préface : Jean Todt et Gérard Saillant
Nombre de pages : 156 pages
Prix : 29,90 €

 
Samedi 17 Novembre 2018
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