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Rochefort, l’océan comme promesse



Quoi de mieux qu’un bon bol d’air marin en guise de déconfinement dans quelques semaines si tout va bien ? Dans un écrin de verdure au bord de la Charente, l’ancien Arsenal des mers de Rochefort invite à la rêverie et aux désirs de voyage…



© Caiman Quartz-Arras
© Caiman Quartz-Arras
Nous sommes à la fin du mois d’août 1944. Les deux symboles de la ville de Rochefort, l’Arsenal et la Corderie Royale sont en flamme. Occupée par les Allemands depuis juin 1940, l’actuelle ville d’art et d’histoire installée dans un méandre de la Charente à 15 kilomètres de la mer, détient encore de nombreux atouts.

Zones de l'Arsenal en 1947 - © DR
Zones de l'Arsenal en 1947 - © DR
Si son Arsenal est à l’arrêt depuis 1927 (le fleuve n’est pas assez profond pour les bateaux modernes), la ville natale de l’écrivain voyageur Pierre Loti compte alors deux grosses entreprises : l’équipementier aéronautique Zodiac et l’avionneur Marcel Bloch qui prendra bientôt le patronyme de Dassault. Devant l’avancée des Alliés, les nazis piègent l’arsenal et incendient partiellement la Corderie dans le but de détruire l’outil industriel en état de marche qu’ils laissent derrière eux. Trois siècles auparavant, c’est justement à Rochefort que Louis XIV décide d’installer selon ses recommandations expresses « le plus grand et le plus bel établissement qu’il y ait dans le monde ». Surnommé le « Versailles des mers », l’Arsenal va construire au fil du temps près de 550 navires qui iront explorer le monde pour des voyages scientifiques ou des guerres lointaines. Ils en rapporteront parfois la gloire comme L’Hermione aux Amériques, mais aussi des trésors botaniques que l’on peut aujourd’hui observer dans les jardins et sur les bords de la Charente.

« Toujours présente mais jamais visible, la mer est le grand amour impossible de Rochefort, le souvenir de l’âge d’or, le regret du large » Erik Orsenna de l’Académie française. La Corderie Royale - © David Raynal
« Toujours présente mais jamais visible, la mer est le grand amour impossible de Rochefort, le souvenir de l’âge d’or, le regret du large » Erik Orsenna de l’Académie française. La Corderie Royale - © David Raynal

La Corderie Royale, au cœur des terres, un navire de pierres

La Corderie Royale après l'incendie de la Seconde Guerre mondiale - © DR
La Corderie Royale après l'incendie de la Seconde Guerre mondiale - © DR
Erigée en 1666, la Corderie est le tout premier édifice ce cet Arsenal des mers voulu par le Roi-Soleil afin de redonner à la France sa puissance maritime. Car en 1660, la Marine Royale est en piteux état. Elle ne compte plus que 31 navires, tous vétustes et délabrés. Les ports de Toulon et de Brest ne pouvant pas fournir assez d’embarcations, Louis XIV charge son ministre, Jean-Baptiste Colbert, de bâtir un nouveau chantier naval. Mais pour l’enquête de terrain, ce dernier désignera son cousin Colbert de Terron, d’où l’actuelle profusion de place et de rue Colbert dans la ville. La mission des deux Colbert est simple : trouver un lieu sur la façade atlantique, à mi-chemin de l’Angleterre et de l’Espagne, pour y installer un arsenal. Le choix se porte ainsi sur Rochefort, une petite seigneurie protestante située en amont d’un estuaire. La ville est retenue du fait de sa configuration géographique particulière : avec les îles de Ré et d’Oléron au Nord et au Sud, et l’île d’Aix au centre. Un réseau de fortifications peut être mis en place pour dissuader tout envahisseur d’attaquer le futur arsenal. Mais les ingénieurs se trouvent bientôt face à un problème majeur. Si le site de la Corderie est parfait pour être défendu, son sol, lui, est instable. En effet, il se trouve dans le lit de la Charente, constitué de vase, ce qui rend toute construction impossible.


Formes de radoub

« Que l’on fasse de l’établissement de Rochefort, le plus grand et le plus beau qu’il y ait dans le monde » Louis XIV. Maquettes de l'Arsenal - © DR
« Que l’on fasse de l’établissement de Rochefort, le plus grand et le plus beau qu’il y ait dans le monde » Louis XIV. Maquettes de l'Arsenal - © DR
La solution viendra comme souvent des Pays-Bas. Pour s’appuyer sur un sol dur, un immense radeau de chêne est immergé dans la vase pour soutenir la Corderie. Toutefois, cette solution pose un nouveau souci aux ouvriers : n’importe quelle construction sur un côté de la structure peut la faire gîter. Il va donc falloir construire la Corderie partout en même temps, de manière symétrique, afin de répartir le poids équitablement entre les deux côtés du radeau. Malgré ces problèmes techniques, il ne faudra qu’un peu plus d’un an aux ouvriers pour terminer la Corderie Royale, qui ouvre ses portes en 1667.La Corderie enfin achevée, c’est tout l’Arsenal qui va être créé. Les formes de radoub (cale sèche de construction), les premières maçonnées d’Europe, vont être bâties en aval, et on assiste à la naissance de l’hôpital de la Marine, du magasin général d’économie et du Quai aux Vivres. Comme son nom l’indique, une corderie sert à fabriquer des cordes. Il s’agit en effet de convertir de la fibre végétale en cordages résistants, et le processus pour y parvenir est assez complexe. Il commence par la récupération de la fibre végétale, en l’occurrence du chanvre, qui est utilisée pour la fabrication des fils de carret. Les fils ainsi obtenus sont noués entre eux pour créer le toron, un assemblage torsadé. C’est en effet le toron qui sert à créer les cordages, et ce, grâce à une machine en trois parties qui va permettre de torsader les torons entre eux (ce qu’on nomme le commettage), de manière plus ou moins rapide et serrée, pour produire différents types et tailles de cordages.

​Production de cordage

Musée de la Corderie Royale - © David Raynal
Musée de la Corderie Royale - © David Raynal
Pour réaliser une corde de 200 mètres, il faut utiliser 300 mètres de torons. C’est la raison pour laquelle la longueur de la Corderie Royale (374 mètres) a été́ pensée pour accueillir la fabrication de cordages marins mesurant jusqu’à une « encablure » (soit 195 mètres), obtenus en torsadant des fibres de près de 300 mètres. Pendant deux siècles, la Corderie Royale va ainsi produire des cordages pour les navires français. Elle atteint son apogée au XVIIIe siècle, à l’occasion des nombreuses batailles navales qui opposent la France aux monarchies d’Europe où au large des États-Unis naissants. Mais après 200 ans de bons et loyaux services, la Corderie ferme toutefois ses portes en 1867. La technologie des bateaux à moteur et à vapeur, et surtout l’arrivée du câble métallique, vont en effet faire inexorablement décliner son activité. Commence alors une longue période d’errance pour le site, qui sera reconverti en zone de stockage et en entrepôts. Le bâtiment sera même coupé en deux pour laisser passer une ligne de chemin de fer dans sa partie Nord.


​Renaissance de la Corderie

La Corderie - © David Raynal
La Corderie - © David Raynal
La fermeture de l'arsenal en 1927 entraîne également l'abandon progressif de la Corderie qui sera accentué par son incendie partiel en 1944. Il faudra attendre près de 50 ans pour qu’elle renaisse enfin de ses cendres. En 1964, l'amiral Dupont, préfet maritime de Rochefort, décide de sauver l’ensemble architectural de la ruine. Classée monument historique en 1967, la Corderie est entièrement rénovée. Les architectes entreprennent de reconstruire l'extérieur du bâtiment en respectant son aspect d'origine. Ils choisissent des matériaux modernes pour cloisonner le corps principal, soulignant ainsi l'identité industrielle du bâtiment.Pour couronner le tout, les jardins sont aménagés à la française afin de rehausser le prestige des lieux. Depuis 1985, l’édifice est redevenu le joyau architectural de Rochefort. Tous les jours il accueille 300 personnes qui viennent y travailler et abrite le Centre International de la Mer, la Chambre de Commerce et d’Industrie, la médiathèque de Rochefort, et le Conservatoire du littoral.

C’est à Rochefort qu’est construite en 1668, la première forme de radoub maçonnée : un bassin de mise à sec pour construite et entretenir les bateaux.  L'Hermione - © David Raynal
C’est à Rochefort qu’est construite en 1668, la première forme de radoub maçonnée : un bassin de mise à sec pour construite et entretenir les bateaux. L'Hermione - © David Raynal

L’Hermione, le bateau qui a convoyé La Fayette

L'Hermione - © David Raynal
L'Hermione - © David Raynal
A seulement quelques « encablures » de la Corderie Royale, une formidable nef, l’Hermione, accueille à son bord les visiteurs. Le 4 juillet 1997, l'Association Hermione-La Fayette s'est lancée dans une incroyable aventure : la reconstruction de la frégate Hermione, navire, qui, en 1780, permit à La Fayette de rejoindre les insurgés américains en lutte pour leur indépendance. En 2015, au bout de 18 ans de reconstruction, le voyage inaugural avait emmené d’avril à mi-août les 70 équipiers de la délégation française au large des côtes américaines. Dans le souvenir des « insurgents » et des rêves d’indépendance du marquis de La Fayette, le voilier avait fait escale dans de nombreux ports de la côte est : Norfolk, Annapolis, Baltimore, Philadelphie, Boston, Newport avant de rendre un salut fraternelet républicain à la statue de la liberté à New York. Initialement, c'est en 1778 dans l'Arsenal de Rochefort sur une cale de construction proche de la Corderie Royale encore visible aujourd’hui, que L'Hermione, fut mise en chantier. Navire de plus de 65 mètres de longueur hors tout, doté d'une voilure de 2200 m2 répartie sur trois mâts, l'Hermione fut construite sur les plans de l'ingénieur Chevillard Aîné. Elle faisait partie, avec La Courageuse, La Concorde et La Fée, d'une série de quatre frégates mises en chantier à Rochefort.


​Frégates légères

L'Hermione - © David Raynal
L'Hermione - © David Raynal
Appartenant à la catégorie de frégates dites légères, caractérisées par leur vitesse et leur maniabilité, l'Hermione était équipée de 26 canons tirant des boulets de 12 livres, d'où son nom de "frégate de 12". Longue de 44,20 m, large de plus de 11 m, la frégate nécessita à l’époque un peu plus de six mois de travail pour des centaines de charpentiers, forgerons, perceurs, cloueurs, calfats, bagnards...Aujourd’hui la réplique de L'Hermione le célèbre trois-mâts carré et ses ateliers se visitent dans le cadre de l'Arsenal des Mers à Rochefort.L’occasion aussi de découvrir les ateliers de maintenance et le chantier de restauration des bateaux traditionnels. Point fort de la visite : un gabier qui a navigué sur l’Hermione fait découvrir ses secrets et partage ses souvenirs de navigation !Tout à côté, l’accro-mats permet aux gabiers en herbe de se hisser en haut de la grand-voile. A partir de six ans, les enfants accompagnés d’un adulte peuvent grimper en toute sécurité dans les bastingages et dominer la Charente à plus de 30 mètres de hauteur. Une expérience vertigineuse…


Musée de la marine

Dans la cour du musée, la réplique du « Radeau de la Méduse » fait référence au fameux tableau de Théodore Géricault réalisé en 1819 et toujours visible au musée du Louvre. Le Musée de la Marine - © David Raynal
Dans la cour du musée, la réplique du « Radeau de la Méduse » fait référence au fameux tableau de Théodore Géricault réalisé en 1819 et toujours visible au musée du Louvre. Le Musée de la Marine - © David Raynal
Passée la porte monumentale du Soleil en forme d’arc de triomphe construite en 1831 et qui marque l’entrée de la ville ou de l’Arsenal, le Musée national de la Marine se tient dans l’Hôtel de Cheusses, le logis du dernier châtelain de Rochefort. Longtemps au cœur du dispositif industriel, économique et militaire constitué par l’Arsenal, ce lieu de prestige a hébergé successivement de 1690 à 1927, le commandant, l’intendant, puis le commissaire de la Marine. Classé monument historique, il abrite désormais depuis 1936 les collections du Musée naval, devenu Musée de la Marine en 1973. Plans, maquettes, tableaux, sculptures, objets maritimes sont présentés dans l’ancienne résidence des Commandants de la marine. Ces témoignages uniques livrent aux visiteurs les clés indispensables à la compréhension du grand arsenal voulu par Colbert, et modifié sans cesse jusqu’à aujourd’hui. La construction des navires de guerre y est mis en valeur dans toutes ses dimensions : techniques, militaires, économiques, urbaine, plastiques, philosophiques et ouvrent également sur l'imaginaire des voyages au long cours.

Réplique du radeau de la Méduse

Dans la cour du musée, la réplique du « Radeau de la Méduse » fait référence au fameux tableau de Théodore Géricault réalisé en 1819 et toujours visible au musée du Louvre. Le thème de cette œuvre monumentale mondialement connue s’inspire d’une histoire vraie. C’est celle de la frégate la « Méduse », partie de Rochefort pour le Sénégal et échouée au large des côtes d’Afrique en juillet 1816. Après le naufrage sur le banc d’Arguin au large des côtes mauritaniennes au moins 147 personnes se maintiennent à la surface de l'eau sur un radeau de fortune. 

Le "Radeau de la Méduse" célèbre tableau de Théodore Géricault - © Musée du Louvre
Le "Radeau de la Méduse" célèbre tableau de Théodore Géricault - © Musée du Louvre
Seuls quinze seront secourus après avoir enduré pendant de longues journées la faim, la déshydratation, la folie et même l'anthropophagie. Drame humain, la « Méduse » est aussi un scandale politique en raison de l’incompétence notoire de son commandant au moment du retour au pouvoir de Louis XVIII et un moment majeur de l’histoire de l’art. Le tournage d’un film documentaire pour Arte en 2014, en collaboration avec le musée de la Marine, a été l’occasion de revenir sur cet épisode tragique de la marine coloniale française et de construire une réplique à l’échelle 1 du plus fameux radeau de l’histoire.En quelques années, l’Arsenal maritime de Rochefort est donc devenu un espace patrimonial d’importance européenne. Plusieurs acteurs contribuent aujourd’hui à le faire revivre : Hermione, Corderie royale, Service patrimoine et musées de la Ville, Ecole de médecine navale, Service Historique de la Défense. Dans un espace urbain délimité et grandiose c’est toute l’Histoire de la marine française qui nous est ici magnifiquement contée…

© David Raynal
© David Raynal
« Voyages des imaginaires » 
​L’univers maritime et onirique de l’artiste Frederica Matta à la Corderie Royale–Exposition jusqu’au 3 janvier 2021


La plasticienne, peintre et sculptrice Federica Matta investit jusqu’au 3 janvier 2021 la Corderie Royale pour une carte blanche artistique. Son univers mythologique et poétique, est composé de sirènes, de serpents, de lunes, de soleils, et de textes qui se promènent au gré de la houle et composent un alphabet universel.

Une fresque court le long d’un mur, sur 21 mètres.© David Raynal
Une fresque court le long d’un mur, sur 21 mètres.© David Raynal
Pour réaliser ce parcours, Federica Matta a créé, dans le cadre d’une résidence, une œuvre spécialement conçue pour ce lieu. Enfin, une fresque court le long d’un mur, sur 21 mètres. Federica Matta y raconte sa propre rencontre avec Rochefort et ses habitants.A travers Voyages des imaginaires, elle crée un parcours poétique pour aller à la rencontre des imaginaires de l'Arsenal des Mers et faire revivre cette grande fresque maritime. A la manière d’une plaque photographique, elle nous révèle un univers onirique qui trouve un écho dans celui des visiteurs.Sur les murs de la Corderie, l’univers mythologique de Federica Matta s’anime dans un cortège de « monstres amicaux » et de textes qui se promènent au gré de la houle en composant un alphabet universel.Un jardin idéal et coloré au cœur del’Arsenal, définitivement promu comme une « fabrique des légendes » !

Centre International de la Mer, la Corderie Royale
Arsenal maritime
Rue Audebert
17300
Rochefort
Tél : 05 46 87 01 90
contact@corderie-royale.com
 
En savoir plus :
www.corderie-royale.com
www.arsenaldesmers.fr
https://www.hermione.com
http://www.musee-marine.fr
 
Où manger ?
La Villette
Bar-brasserie
15 avenue Charles de Gaulle
17300 Rochefort
Tél : 05 46 99 05 72
Mercredi 11 Novembre 2020
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