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"Non, la France n'est pas le champion du monde du tourisme"




INTERVIEW Pour le PDG du site Easyvoyage, Jean-Pierre Nadir, l'industrie touristique française est à la traîne... Contrairement aux idées reçues. Explications.



Jean Pierre Nadir, PDG du site Easyvoyage.com DR
Jean Pierre Nadir, PDG du site Easyvoyage.com DR

Vos tweets ressemblent actuellement à des SOS pour que l'on sauve l'industrie du tourisme en France… Dans l'un d'eux, vous affirmez même que "la France est le seul pays, avec les USA, où le tourisme contribue moins à la création de richesse que la moyenne de l’économie nationale." La France n'est donc pas "championne du monde du tourisme"?


Non, effectivement, contrairement à ce qu'on claironne souvent, elle n'est absolument pas "championne du monde du tourisme"... En fait, la France est l'un des rares pays au monde, avec les Etats-Unis, où la croissance de l'industrie du tourisme augmente moins que celle du PIB -c'était une info que j'avais repérée dans l'Echo touristique.

Pour donner des chiffres, l'Espagne affiche un PIB de 1.400 milliards et un "chiffre d'affaires tourisme" de 60 milliards d'euros. En France, le PIB atteint 2.000 milliards d'euros- alors que le "CA tourisme" est de 50 milliards seulement… Ce différentiel est un paradoxe absolu puisque les médias présentent souvent l'Hexagone comme la première destination touristique au monde, avec 83 millions de visiteurs. Mais ce chiffre est un leurre, c'est l'arbre qui cache la forêt, et il est souvent mal compris.

En fait, oui, 83 millions de personnes "passent" par notre pays chaque année. Mais parmi elles, 14% sont de simples voyageurs en transit! Non seulement les fameux Hollandais ou Allemands qui se contentent de traverser le pays le plus vite possible pour rejoindre les plages espagnoles, mais aussi, on le sait moins , les passagers d'avion en transit par Paris, à qui il suffit de passer la douane pour être comptabilisés parmi les touristes! Par ailleurs, sur les 83 millions, on compte 15 millions de "voyageurs Disney", qui vont simplement à Disneyland Paris, passent une demi-journée dans la capitale pour voir la Tour Eiffel, et partent ailleurs en Europe.

Mais tout de même, être "première destination touristique au monde", ce n'est pas si mal ?

Non, franchement, quand la France affirme être une plateforme mondiale du tourisme, c'est faux, c'est une imposture! Cette affirmation ne tient pas la route une seconde. En fait nous nous enivrons de ce chiffre magique de "83 millions de visiteurs", et de notre place de "pays numéro 1 pour le nombre de touriste", et on oublie l'essentiel : le chiffre d'affaires réalisé au final par tous ces touristes. Et là, il y a de quoi pleurer.

Pourquoi ?
 
Parce que avec 83 millions de visiteurs, nous ne réalisons donc que 50 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Or l'Espagne ne compte que 60 millions de visiteurs, mais, je l'ai dit, elle totalise 60 milliards de chiffre d'affaires "tourisme"! Soit 20% de plus que nous alors qu'ils ont 25% de touristes en moins ! Pourquoi ce décalage, alors même que la France bénéficie du tourisme d'affaires -ce n'est pas un marché vraiment exploité en Espagne- qui devrait entraîner un panier moyen plus élevé ?

Ce qui se passe, c'est que l'Espagne, elle, contrairement à nous, ne s'endort pas sur ses lauriers: en 10 ans, ils sont montés en gamme puisqu'ils ont doublé le nombre de leurs chambres 4 et 5 étoiles. Ce qui n'empêche pas que leurs chambres soient en moyenne 14% moins chères que les nôtres! Et alors même qu'ils reçoivent moins de touristes que nous, ils ont plus de chambres d'hôtels: 680.000 contre 580.000 en France ! Et tout ne se résume pas à l'Espagne : même l'Allemagne fait mieux que nous ! Elle génère 1.240 euros par visiteur pour 30 millions de visiteurs par an, contre 647 euros pour la France.

On peut donc mieux faire...

On pourrait même beaucoup mieux faire! Pour la tendance générale, c'est simple : d'après le Rapport sur la compétitivité du tourisme et du voyage, la France a chuté de la 3e à la 7e place en terme d'attractivité touristique depuis 2011. Quant aux investissement structurels dans le tourisme, ils ont baissé de 4% l'an dernier à 12,7 milliards d'euros. Baisser les investissements, je ne sais pas si c'est comme ça qu'on prépare mieux l'avenir !

Prenons une comparaison simple. Imaginez que la France, ce soit Usain Bolt : mensurations exceptionnelles, foulée d'une longueur exceptionnelle, musculature parfaite. Imaginez qu'avec tous ces atouts, Bolt ne finisse que quatrième ou septième aux Jeux Olympiques... Eh bien la France, c'est pareil. Nos atouts sont absolument incroyables: héritage historique phénoménal, des paysages très diversifiés et grandioses, le plus long espace balnéaire d'Europe -des plages du Nord à la Méditerranée en passant par l'Atlantique-, le ski l'hiver -ce dont ne bénéficie pas l'Espagne, malgré les Pyrénées-, l'industrie du luxe, qui devrait contribuer à ce que le panier moyen soit le plus élevé du monde, vu le prix des sacs, parfums, bijoux, vêtements portant des griffes prestigieuses dont regorgent ses magasins…Malgré tous ces atouts -tiens, j'oubliais les résidences hôtelières, comme Pierres & Vacances, concept quasi inexistant en Espagne- malgré tous ces atouts, donc, notre panier moyen reste ridiculement faible, l'attractivité de la France baisse, nos infrastructures vieillissent.

Ainsi, en 10 ans, il ne s'est pas créé une seule chambre d'hôtel supplémentaire à Paris. Entre les destructions et les créations, le solde est de zéro. A New-York, le nombre de chambres d'hôtels croît en moyenne de 5% par an depuis cette période. Quant à Londres, n'en parlons pas : 123.000 chambres d'hôtels, contre 80.000 à Paris… J'avais parlé de Usain Bolt, tout à l'heure, mais en fait, c'est comme si nous avions les mêmes atouts et la même corpulence que Bolt, mais que nous négligions la musculation. Voilà, c'est ça : la France doit muscler ses infrastructures et sa politique touristique.

Vous avez des solutions à proposer ?

Je ne suis pas ministre du tourisme, mais tout de même, oui, des solutions existent : en parlant des politiques, justement, on m'a raconté que le général de Gaulle avait prononcé un grand discours en faveur de l'industrie du tourisme à la Grande-Motte, en 1967, je crois. Eh bien depuis, je n'ai jamais entendu un président de la République faire un discours aussi volontariste. Aucun. Il faudrait sans doute commencer par là : un volontarisme politique en faveur du tourisme. Ensuite, on peut se demander comment faire pour que les touristes dépensent plus sur place. Pourquoi ne pas supprimer les taxes de séjour au delà de la troisième nuité d'hôtel ? Cela diminuerait le prix des nuités et améliorerait l'attractivité de la destination "France".

Vous croyez vraiment que quelques euros en moins chaque jour vont décider des touristes à choisir la France plutôt qu'un autre pays ?

Attendez, "quelques euros", si on part sur 10 euros par jour, eh bien 5 jours sans taxe, ça représente le prix d'une nuité supplémentaire ! Ce n'est pas rien… Il faudrait aussi imaginer un statut spécifique pour les saisonniers. Actuellement, les bars, commerces et hôtels connaissent un manque à gagner considérable car ils n'ont pas le personnel suffisant lors des "coups de feu" ou lors de l'afflux massif de touristes : ils ont peur d'embaucher et de se retrouver coincés à cause des contraintes administratives… En Espagne, les charges sur les petits boulots du type "saisonniers" ont baissé, ce qui a favorisé leur recrutement.

Troisième point : améliorer la sécurité des touristes. Vous savez que la presse internationale commence à évoquer ces touristes chinois ou japonais agressés et dépouillés en plein Paris : ça fait un tort considérable à notre destination. Figurez-vous que le Maroc, il y a 15 ans, a été confronté au même problème : ils ont créé une police touristique spécifique pour les souks, et depuis la sécurité -et les touristes- sont revenus. En France, on a toujours aimé donner des leçons aux Marocains : là, c'est eux qui pourraient nous donner des leçons! On pourrait aussi motiver les agences réceptives (tour opérateurs qui font venir des touristes en France NDLR) via des incitations financières, du type "si vous atteignez le chiffre de 100.000 touristes venant en France, vous touchez un euro par touriste". La Turquie avait mis en place un tel système, et il a très bien fonctionné.

Mais encore une fois, je ne fais qu'énumérer des idées : ce qu'il faut, en fait, c'est que le politique se saisisse à bras-le-corps de ce dossier. Tenez, j'ai fait rapidement un petit sondage "perso" sans aucune valeur scientifique auprès des commerçants de l'île de Ré, cet été : personne ne sait comment s'appelle le ministre du Tourisme! Si les 83 millions de visiteurs "consommaient" autant qu'en Allemagne, cela rapporterait 49 milliards d'euros supplémentaires à la France chaque année ! Or 49 milliards, c'est le budget total de l'Education nationale. De quoi générer 8 milliards d'euros de TVA en plus pour le budget de l'Etat. Mais bon, moi je ne suis pas ministre, je dis ça, je dis rien ! Au lieu de s'endormir sur ses lauriers de "première destination au monde" ou de "83 millions de touristes", le gouvernement devrait organiser un Grenelle du tourisme pour mettre tous les dossiers à plat, et donner une vision au secteur, afin qu'il offre vraiment tout son potentiel pour soutenir la croissance et l'emploi.


Propos recueillis par Laurent Calixte

Source : www.challenges.fr/economie/





Lundi 26 Août 2013
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